Bienvenue à Un Moment Avec, l’histoire de misfits qui cassent les codes de leurs secteurs.
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Ce frisson de plaisir
La semaine dernière, je lançais Un Moment Avec sur LinkedIn, après l’avoir démarré sur Substack. Résultat : 190 nouveaux abonnés, et 229 au total. Waouh! C’est complètement dingue. Ca donne une énergie et une motivation de fou. Alors, merci.
Sur cet élan, j’ai envie de te proposer quelques surprises estivales.
Profiter de Un Moment Avec, les pieds en éventail
L’été, c’est un moment de détente. Pour profiter des plages et des terrasses. Pour laisser son esprit divaguer. Et parfois, forcément, pour finir par réfléchir à nos projets, nos envies, ou nos ambitions (ou c’est juste moi ?!). Quoi de mieux alors que de recevoir non pas une, mais deux newsletters? Un épisode inédit en début de semaine, et une réédition d’un épisode passé avant le weekend. Voilà, c’est cadeau.
Et puis j’ai bien envie de tester un nouveau format : le podcast. Alors dans les prochaines semaines, il n’est pas impossible qu’on se retrouve sur YouTube. Bien sûr, je partagerai tout ça ici.
Voilà pour les annonces, j’espère que tu vas aimer.
Et en attendant, place à un vrai misfit de l’entrepreneuriat.
Au Programme
« Flirtez avec la ligne jaune autant que vous voulez, mais ne la dépassez plus »
Les secrets de Niel
Avec Free, t’as tout compris
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« Flirtez avec la ligne jaune autant que vous voulez, mais ne la dépassez plus »
Les sirènes hurlantes passent à toute vitesse dans les rues de Paris. La voiture de police se dirige vers le tribunal, où le prévenu doit être présenté à un juge. Les accusations sont lourdes. Proxénétisme aggravé et recel d’abus de biens sociaux. Installé dans le bureau du juge, il attend. Entre alors Renaud Van Ruymbeke, une pointure du crime financier. Droit dans les yeux, le juge lui dit « monsieur, vous avez blanchi un milliard de francs (oui oui, des francs). C’est le moment de parler ». Le soir même, Xavier Niel est incarcéré et son arrestation fait l’ouverture du journal de TF1.
Chez certains patrons, c’est le bonheur. Ils croient être enfin à la fin de deux années de souffrance. Car deux ans avant, Xavier et son équipe sortaient la Freebox, une box qui permet d’avoir Internet - TV - téléphone en un seul abonnement. Cette prouesse technologique permet à Free de proposer des produits deux fois moins chers que la concurrence. Chez les opérateurs historiques, c’est la panique.
D’autant que Xavier n’y va pas avec le dos de la cuillère sur le marketing. Le slogan « il a free, il a tout compris » imprime. Des millions de français passent chez Free. Xavier devient l’homme à abattre. On ne peut pas s’attaquer à des monopoles de cette manière diront certains, quand d’autres critiqueront les méthodes.
Alors ses adversaires font monter la rumeur : comment a-t-il pu générer un milliard de chiffre d’affaires dans ses activités avec une tarification aussi basse? Où est l’entourloupe? Certains se mettent à chercher. Le passif de Xavier est fouillé. En toute discrétion. Et ils trouvent que Xavier fait des aller-retours entre Paris et Strasbourg. Toutes les semaines, c’est une enveloppe de 15.000 euros qu’il récupère illégalement de ses clubs X, de la main à la main. Il n’en faut pas davantage, l’affaire est lancée.
Xavier passera un mois en prison. Au moment de sa remise en liberté, le juge le covoque dans son bureau. Van Ruymbeke lui dit ces quelques mots qui raisonnent encore aujourd’hui : « Monsieur Niel, vous avez une belle situation et une affaire qui marche. Flirter ou mordez la ligne jaune tant que vous voulez. Mais de grâce, ne la dépassez plus. ». Ces mots ouvrent une nouvelle phase de sa vie. La transgression oui, mais légale. C’est la fin d’une époque.
Les geeks prennent le pouvoir
Xavier naît dans une famille où le modèle de réussite est de « passer son bac, faire 10 ans d’études et avoir une bonne culture générale ». Lui ne comprend pas trop. Ce qu’il veut lui, c’est gagner beaucoup d’argent. Alors quand il reçoit son premier ordinateur à 15 ans, il saisit cette opportunité.
L’époque est au minitel (l’ancêtre d’Internet, pour les plus jeunes). Toutes les grandes entreprises se ruent dessus pour y proposer des services, mais aucune ne sait programmer (un peu comme l’IA aujourd’hui). Alors Xavier rassemble un groupe de copains. Ensemble, ils programment des logiciels pour de gros clients. Puis ils se rendent compte que ce qui paie le mieux, c’est les services pornographiques. Alors ils se spécialisent. Et pour payer un minimum en infrastructure, ils piratent les minitels d’entreprises et les font tourner la nuit. Ce piratage lui vaudra une première arrestation, en forme d’avertissement.
Mais Xavier double la mise. Il poursuit la création de services X sur minitel, et obtient une licence de presse pour diminuer sa TVA. Ses investissements dans les clubs de charme se multiplient, bien aidés par son associé de toujours, Fernand Develter. En parallèle, il continue à pirater. Cette fois, ce sont les décodeurs de Canal+ qu’on disait intouchables. Le défi l’excite. Il aime quand on lui dit que quelque chose est impossible ou interdit. Alors avec ses copains, il parvient à craquer le système et revend les décodeurs débloqués sur le marché noir. Une nouvelle fois, il est arrêté. Mais cette fois, ce n’est pas sans conséquence.
Le jour de son arrestation, il est envoyé au Ministère de l’Intérieur. Au sous-sol. Après des heures d’attente, un homme s’approche. C’est le renseignement français qui lui propose un marché. « Pirate si tu veux, mais pirate pour nous ». Ce jour, Xavier devient un correspondant des services secrets français. En quelques années, il parviendra à pirater le téléphone portable du Président de la République et à mettre au jour l’espionnage industriel opéré par l’Australie.
Mais ses activités professionnelles se développent et Xavier n’a plus le temps de jouer au pirate-espion. La Freebox est dans les cartons et sur le point de sortir. La suite, on la connaît. Son passé lui vaudra un détour en prison. Mais surtout, à sa sortie, Xavier est plus motivé que jamais. Il n’a pas dit son dernier.
Exploser le monopole
Depuis des décennies, les trois opérateurs télécom historiques s’entendent sur les prix. Les marges gonflent sur le dos des gens, qui en ont marre. Alors quand l’hypothèse d’un quatrième opérateur est mise sur la table, le secteur s’enflamme. La machine politique et lobbyiste se met en marche.
En France à ce moment, trois opérateurs se partagent le marché : Orange (l’opérateur historique, quasiment une entreprise d’état), SFR, et Bouygues (le plus petit, propriété d’un ami du Président Sarkozy).
La charge est publique. Les opérateurs historiques attaquent Free sur son passé, son incompétence supposée, son impréparation, et sur son utilité même. Des actions en justice sont lancées, y compris au niveau européen. Les autorités publiques donnent une date limite à Free : si leur service n’est pas lancé au 12 janvier 2012, ils perdront leur licence. Et il se dit même que les trois opérateurs sont en train de préparer une quatrième entreprise factice, dont la mission est de rafler la licence télécom au nez et à la barbe de Free. Une entreprise qu’ils se repartageront dans quelques années.
Alors quand Xavier est convoqué à l’Elysée par Nicolas Sarkozy, il ne se fait pas d’illusion. Le Président lui répète ce qu’il a déjà dit à l’envie à tout le monde : « Je suis assez sceptique et réservé sur le choix d'un quatrième opérateur de téléphonie mobile. Car le prix le plus bas n'est pas forcément le meilleur ». Mais Xavier sait aussi que le parrain du fils de Sarkozy n’est autre que Martin Bouygues, propriétaire de Bouygues Telecom. Les dés sont pipés. Dans cette guerre ouverte, tout est permis.
Si je devais me suicider ou mourir dans un accident de voiture dans les trois prochains mois, vous saurez que les menaces étaient sérieuses, car je ne suis pas du tout suicidaire et je conduis très prudemment (Xavier Niel)
Mais Xavier ne désarme pas, car il a un allié de poids : le public. Si les grands opérateurs n’ont rien à se reprocher, pourquoi ont-ils peur? Pour qui travaillent vraiment les politiques? Les lobbies vont-ils gagner? Sa surreprésentation médiatique et son ton martial plaisent. Il est le robin des bois des modestes. Il parait être n’importe lequel d’entre nous. Et il ne semble avoir peur de rien.
Surtout, c’est la stratégie de l’épouvantail. Pendant qu’il concentre toutes les attaques sur lui, son équipe s’active en coulisse. Sa garde rapprochée a tout connu, des débuts de Free à la Freebox. Antoine Levavasseur prépare les réseaux et les infrastructures, Rani Assaf met en place des équipes techniques solides, et Angélique Gérard travaille à un service client hors norme. Nom de code de l’équipe? Les boulettes-couscous.
Alors, quand Xavier annonce son offre mobile ce 10 janvier 2012, c’est un mélange de soulagement et de tension qui en sort.
Le premier jour, la vague de nouveaux abonnés est majeure. Un million de personnes tentent de s’inscrire et font cracher les serveurs. Et dès le deuxième jour, tout est en ordre de marche. Le service est lancé, son succès est indiscutable. Free devient un acteur clé des télécoms. Son image est très positive auprès du public, avec une étiquette de champion du pouvoir d’achat. Un rapport de l’INSEE (l’institut des statistiques en France) montrera même que les français ont récupéré des millions d’euros de pouvoirs d’achat par la seule arrivée de Free.
Cette victoire, la seconde après la Freebox, est celle d’une équipe de 15 ans. Celle de pirates qui ont travaillé à la disruption du secteur des télécoms parce qu’ils ne supportaient pas les monopoles. Ni l’arrogance des grands acteurs. Et parce que l’opportunité était majeure. La guerre a été féroce, mais victorieuse. Mais le temps passe, et Xavier se pose la question de sa succession. Qui après lui?
J’adorerais que les plus jeunes s’identifient à moi. Mais la vérité est que je suis trop vieux. Il faut faire émerger une génération qui gagne, pour donner envie à d’autres jeunes (Xavier Niel)
La naissance de la confrérie des pirates
Dans l’esprit de Xavier, la piraterie moderne c’est l’entrepreneuriat. Et pour qu’une communauté ambitieuse voit le jour, quatre ingrédients sont nécessaires: le financement des projets, la disponibilité des compétences, l’écosystème qui propulse les entreprises, et un état d’esprit conquérant à l’américaine. Ces ingrédients, Xavier décide de les construire avec des gens qui les incarnent.
En 2010, il co-fonde le fond d’investissement Kima Ventures avec le serial entrepreneur Jérémie Berrebi, une figure de la tech en France. En 10 ans, Kima devient l’investisseur le plus actif au monde, impliqué dans 50% des licornes françaises (entreprises valorisées à plus d’un milliard d’euros).
Trois ans plus tard, c’est l’école 42 qu’il lance avec trois associés. Pas de diplôme délivré, pas de professeur, pas de cours. La sélection se fait au mérite (et au courage), l’apprentissage à travers des projets en équipe. C’est aujourd’hui une des écoles de programmation les plus renommées au monde - présente dans 20 pays.
Et en 2017, il co-fonde avec Roxane Varza le plus grand incubateur de startup au monde : Station F, à Paris. Il y rassemble les meilleures startups, les plus grands acteurs de la tech, et prévoit des programmes pour augmenter la diversité des fondateurs d’entreprise.
Alors certains se demandent où Xavier va s’arrêter.
Au-delà de l’image de pirate qu’il alimente volontiers, Xavier Niel est un entrepreneur iconoclaste. D’abord motivé par l’envie de devenir riche, il l’a ensuite été par le désir de s’attaquer à des barons bien établis, avant de devenir un parrain de l’écosystème startup en France. Pour des milliers de jeunes, il a ouvert la voie d’une liberté entrepreneuriale. En 15 ans, il a permis l’émergence d’un des écosystèmes entrepreneurial les plus performants du monde - derrière San Francisco et en concurrence directe avec Londres et Berlin. Et pour des milliers de français, il leur a permis de retrouver du pouvoir d’achat et de la dignité, en arrêtant de se faire avoir par les grands monopoles. Alors Xavier, patron préféré des français?
Les Secrets de Niel
1/ Seul, on est dangereux. Ensemble on est insubmersibles.
Le parcours de Xavier Niel est impressionnant. Quand on le découvre, on se demande presque comment un seul humain est capable de faire autant. Mais à y regarder de plus près, il a deux secrets.
(1) Toutes les entreprises qu’il a créé ont été co-fondées. Que ce soit pour ses premiers projets, pour Free ou pour les projets plus récents, Xavier Niel n’y va jamais seul. S’il donne parfois l’impression d’être le seul à bord, c’est surtout parce qu’il adore cette position d’épouvantail. Pendant que les attaques se concentrent sur lui, ses équipes peuvent travailler tranquillement.
(2) Qui dit co-fondateur ne dit pas forcément responsabilités opérationnelles dans l’entreprise. Chez Free, il n’a d’ailleurs jamais été directeur général mais directeur de la stratégie. Aujourd’hui, il n’est qu’actionnaire majoritaire. Ce sont ses prises de participation, son management informel et son positionnement stratégique qui lui permettent d’attaquer autant de sujet en même temps.
2/ La communauté des « misfits » est une communauté en soi
On devient souvent « misfit » en rupture à quelque chose. La famille, l’école, la société. Souvent, on se sent isolé, parce que coincé à l’extérieur du système. Ce que l’école 42 de Xavier Niel a compris, c’est que cette expérience commune (d’isolement) est en réalité un socle fort sur lequel créer des relations humaines.
Pour cette raison, 42 (a) recrute ouvertement parmi les jeunes en rupture avec le système scolaire, (b) ne demande pas de diplôme à l’entrée, seulement de la motivation. Elle crée aussi les conditions pour que les jeunes collaborent, qu’ils s’entraident. A 42, il n’est pas rare que les étudiants dorment, prennent leur douche, mangent et vivent 24/24h dans les locaux. De cette façon, une communauté de gens de 42 se créent. Et pour avoir recruté et travaillé avec certains d’entre eux, leur lien est d’une solidité remarquable.
Finalement, quand on est un « misfit », tout l’enjeu est de trouver sa communauté de misfits.
3/ Tout est possible, rien n’est interdit
Quand on regarde l’aventure de Xavier Niel dans les télécoms, on se dit que c’était courageux de s’attaquer au monopole des télécoms. Mais regardons les choses sous un autre angle. En 2012, le chiffre d’affaire cumulé des opérateurs historiques avoisine les 60 milliards d’euros. Celui de Free, 3 milliards. C’est un peu comme si un poids plume de 70 kg s’attaquait à un sumo de 1,4 tonnes. A ce niveau, ça n’est pas du courage, c’est de l’inconscience. C’est du David contre Goliath.
Pourtant, Free finit par s’imposer et entrer sur le marché mobile. Par le combat, par les médias, par la promesse de vie moins chère pour les gens. Par un contexte favorable aussi, de crise économique et d’inquiétude sur les salaires (2007, c’est la crise des surprimes, 2008 l’affaire Kerviel qui fait vaciller les banques).
C’est là qu’on se dit que finalement, tout est possible et rien n’est interdit.
Avec Free, t’as tout compris
La vision de la France de Xavier Niel est particulièrement positive, et il l’explique particulièrement bien dans cette intervention à la conférence BPI.
La meilleure interview de Xavier Niel est une interview intimiste sur la Chaîne Parlementaire (ce qui la rend encore plus intimiste).
Mouloud Achour est aussi un interviewer hors pair - ici sur Clique.
Xavier Niel est un grand timide. Ses meilleures interventions se font sur le temps long, comme ici à Science Po, ou là à CentraleSupélec.
L’Ecole 42 est une expérience pédagogique hors norme, et à découvrir là.
Voilà, c’est tout pour cette semaine 💛
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